Aller au contenu
Contactez-nous

Commande publique et concurrence déloyale : quand le juge judiciaire concurrence (loyalement ?) le juge administratif …

À première vue, l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 25 juin 2025, s’inscrit dans la droite ligne d’une jurisprudence bien établie. En effet, par cette décision la chambre commerciale réaffirme que le juge judiciaire est compétent pour trancher un litige de concurrence déloyale, même lorsque le différend prend sa source dans un contrat administratif.

Pourtant, derrière ce rappel classique se dessine une évolution qui pourrait être bien plus importante.

L’affaire

S’agissant des faits de l’affaire qui nous occupe, il sont classiques.

Les sociétés VERT MARINE et ADL ont participé à une procédure de mise en concurrence dans le cadre d’un contrat de délégation de service public pour l’exploitation d’un centre aquatique.

Finalement, la société ADL a été retenue.

Alors que la société VERT MARINE aurait pu seulement introduire un recours dit « Tarn-et-Garonne » pour contester la validité du contrat de DSP conclu, elle a fait le choix d’assigner la société ADL devant le tribunal de commerce d’Angers pour concurrence déloyale.

Dans l’affaire qui nous retient, la société VERT MARINE estimait que l’offre de la société ADL avait été rendue artificiellement plus attractive par le choix d’une convention collective avantageuse mais inapplicable, au cas présent, la CCN ELAC au lieu de la CNN du sport.

Notons que devant le Tribunal de commerce, la société VERT MARINE sollicitait à la fois la réparation des préjudices économiques subis et des mesures de cessation des pratiques anticoncurrentielles.

De son côté, la société ADL estimait que la juridiction judiciaire était incompétente au profit de la juridiction administrative.

La cour d’appel saisie a considéré que la juridiction judiciaire était bien compétente pour réparer le préjudice causé par la concurrence déloyale. En revanche, elle a jugé que la juridiction judiciaire n’était pas compétente pour faire cesser cette pratique. Pour la Cour d’appel cela revenait à modifier un contrat administratif, compétence dévolue à la juridiction administrative.

La chambre commerciale de la Cour de cassation n’a pas été du même avis. Elle a cassé et annulé la décision rendue par la Cour d’appel en ce qu’elle avait jugé que le juge judiciaire n’était pas compétent pour faire cesser, dans ce cas précis, une pratique anticoncurrentielle. Par la décision commentée la Haute juridiction judiciaire a ainsi jugé que :

« Le juge judiciaire, saisi d’une action en concurrence déloyale exercée contre une personne de droit privé, est compétent pour ordonner à celle-ci la cessation pour l’avenir de ses agissements illicites, quand bien même seraient-ils commis à l’occasion de la passation ou de l’exécution de contrats publics. » (Point 17)

Il en ressort que le juge judiciaire est compétent pour faire cesser un acte de concurrence déloyale, même s’il intervient à l’occasion de la conclusion d’un contrat administratif.

Les suites de l’affaire

Cette décision offre de nouvelles possibilités aux opérateurs économiques évincés irrégulièrement d’une procédure de passation d’un contrat de la commande publique.

Partant nous pouvons tirer les conclusions suivantes de cette décision :

– Le juge judiciaire reste une voie de recours utile pour des opérateurs économiques lésés par des pratiques déloyales dans la commande publique ;

– Il n’annule pas le contrat, mais peut réparer, interdire ou sanctionner  des pratiques anticoncurrentielles ;

– Il ne remplace pas le juge administratif mais le complète ;

– Une décision qui pourrait bousculer les réflexes contentieux et rééquilibrer les armes entre concurrents.


Aussi, cette affaire semble loin d’être achevée. Si le juge judiciaire saisi sur le fond ordonne à la société ADL de cesser la concurrence déloyale en appliquant la bonne convention collective, une modification (substantielle ?) devrait intervenir. À défaut, la société VERT MARINE pourra introduire un recours dit « Transmanche » permettant d’obtenir la résiliation du contrat devant la juridiction administrative (CE, 30 juin 2017, SMPAT, n°398445).

Une « passe décisive » pour le juge administratif ? Peut-être. Mais déjà un nouvel outil pour les candidats évincés qui entendent contester loyalement… la concurrence déloyale.

Cass. Com., 25 juin 2025, n°24-18.906

Article rédigé par Me Tarik BACHIR, avocat associé et formateur

et M. Sadek SEHAN, juriste titulaire du CRFPA