Face à l’épidémie du COVID-19 (coronavirus), la majorité des activités économiques sont à l’arrêt.
En effet, alors que le nombre de malades augmente considérablement chaque jour en France et dans le monde, et que le gouvernement a pris des mesures historiques de confinement, la plupart des secteurs économiques sont touchés, et de nombreux contrats sont menacés.
Il est légitime que les entreprises et les particuliers s’interrogent sur l’impact de l’épidémie sur l’exécution des contrats en cours : le coronavirus peut-il être considéré comme un cas de force majeure ? Dans l’affirmative, quelles sont les conséquences à prévoir pour l’exécution des contrats en cours ?
1. Qualification du cas de force majeure
Selon les dispositions de l’article 1218 du Code civil : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un évènement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat, et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».
Ainsi, un évènement sera constitutif de force majeure lorsqu’il présente trois critères cumulatifs :
- L’évènement doit échapper au contrôle du débiteur, c’est-à-dire être indépendant de sa volonté. Par exemple, lorsqu’une maladie s’abat sur le débiteur de l’obligation.
- L’évènement doit être imprévisible, il ne pouvait pas être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat. Par exemple, les intempéries qui ont une intensité exceptionnelle peuvent être considérées comme imprevisibles : cela peut être le cas d’une très violente tempête lorsqu’il n’existe pas de précédent connu dans la région concernée.
- L’évènement doit être irrésistible, c’est-à-dire qu’il doit être inévitable et rendre l’exécution du contrat impossible. Par exemple, c’est le cas des phénomènes naturels comme les séismes et les ouragans.
Une partie au contrat peut donc s’exonérer de sa responsabilité civile contractuelle en présence d’un évènement présentant les critères susvisés : le débiteur de l’obligation sera libéré et l’obligation sera éteinte. Par conséquent, le créancier de l’obligation ne pourra obtenir de dommages-intérêts pour inexécution du contrat.
Rappelons que seul le débiteur de l’obligation pourra se prévaloir du cas de force majeure.
2. Le cas des épidémies et du Coronavirus
La question de savoir si une épidémie peut constituer un cas de force majeure n’est pas nouvelle. En effet, les tribunaux français ont eu l’occasion de rejeter une telle qualification s’agissant notamment de la peste en 1998 (CA Paris, 25 septembre 1998), de la grippe H1N1 en 2009 (CA Besançon, 8 janvier 2014, n°12/02291), ou de Chikungunya en 2018 (CA Basse-Terre,17 décembre 2018, n° 17/00739).
Néanmoins, d’autres épidémies ont été qualifiées de cas de force majeure. Alors qu’en Chine, le SRAS a été reconnu comme un cas de force majeure (Cour Suprême du Peuple Chinoise, 2 septembre 2016), les tribunaux français ont admis qu’une épidémie comme Ebola pouvait être considérée comme un cas de force majeure (Cour d’Appel de Paris, 17 mars 2016, n°15/04263).
Toutefois, afin que l’épidémie soit qualifiée de cas de force majeure, il ne doit pas exister de possibilité pour le débiteur de l’obligation de trouver des moyens d’éviter cette force majeure.
Ainsi, le débiteur souhaitant se prévaloir de la force majeure pour justifier de la non exécution de son obligation devra démontrer qu’il n’a pas pu anticiper les conséquences de l’épidémie (confinement, obligations sanitaires…).
Par exemple, le débiteur d’une obligation de livraison devra prouver que ses difficultés de transport sont nées à l’occasion de l’épidémie et que le retard est justifié par exemple aux nouvelles obligations sanitaires ou au manque de personnel dû au confinement.
S’agissant du coronavirus, dont l’impact est mondial et sans précédent, il semble que la qualification de cas de force majeure s’impose. En effet, les mesures mises en place afin de freiner la propagation de l’épidémie, le caractère nouveau du virus, son intense gravité et l’absence de remède thérapeutique pourraient permettre de lui donner la qualification de force majeure.
Cette analyse est renforcée par la déclaration de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) en date du 30 janvier 2020, qui a annoncé que l’épidémie de coronavirus constituait une « urgence de santé publique de portée internationale ».
Enfin, le ministre de l’Economie, M. Bruno LE MAIRE, a affirmé en date du 28 février 2020 que « le coronavirus sera considéré comme un cas de force majeure pour les entreprises ».
Il paraît donc probable, à notre sens, que l’épidémie du coronavirus pourra constituer un cas de force majeure et pourra par conséquent être invoqué en tant que fait exonératoire de responsabilité civile contractuelle.
Il est à noter toutefois que la qualification de force majeure sera toujours soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond, en fonction des faits et circonstances de chaque espèce.
A ce titre, il convient de préciser qu’il sera davantage aisé d’invoquer la force majeure pour les contrats en cours, conclus avant la propagation de l’épidémie du coronavirus. En effet, s’agissant des contrats plus récents, il sera sans doute plus complexe de caractériser le caractère imprévisible de l’évènement. Actuellement, la doctrine s’accorde autour du fait qu’il serait possible d’invoquer la force majeure à compter du 4 mars 2020, date du premier arrêté restrictif.
Néanmoins, d’autres dates pourront être retenues. Par exemple, si une entreprise a réservé, en janvier, une salle de conférence pour 2.000 personnes pour un événement ayant lieu le 20 mars 2020, celle-ci peut invoquer la force majeure depuis l’arrêté du 9 mars 2020 (interdisant les rassemblements de plus de 1.000 personnes). Néanmoins, l’entreprise qui a réservé une salle de réunion pour 300 personnes ne le peut qu’à compter de l’arrêté du 13 mars 2020 (interdisant les rassemblements de plus de 100 personnes).
3. Les conséquences du coronavirus en tant que cas de force majeure
L’alinéa 2 de l’article 1218 du Code civil relatif à la force majeure dispose : « Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 ».
Il s’agit donc de distinguer différentes hypothèses :
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En cas d’empêchement temporaire, c’est-à-dire lorsque le débiteur de l’obligation ne peut pas s’exécuter immédiatement ou dans le délai convenu contractuellement, l’exécution de l’obligation est suspendue, à moins que le retard résultant de cette suspension ne justifie la résolution du contrat.
Bien entendu, la durée de la suspension dépendra de la durée de l’empêchement, et le débiteur de l’obligation devra s’exécuter dès qu’il le pourra.- Par exemple, si un séjour, prévu initialement pour une durée de 15 jours, ne peut pas s’exécuter pour cause de grève, et que cette dernière cesse au bout d’une semaine, le contrat pourra reprendre ses effets pour le restant du séjour, et la semaine de séjour non effectuée ne sera pas facturée.
- Par exemple, un contrat prévoit la livraison de fleurs pour un évènement tel qu’un mariage. La livraison ne peut s’effectuer pour la date du mariage, le débiteur de l’obligation prévoit un retard de 3 jours pour cause de tempêtes violentes empêchant le transport de marchandises. Dans ce cas, le retard résultant de la suspension justifie la résolution du contrat puisque les fleurs n’ont pas pu être livrées pour la date du mariage.
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En cas d’empêchement définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations. Ainsi, il s’agira de remettre les parties dans la situation où elles se trouvaient avant la conclusion du contrat, et de procéder pour cela à des restitutions et/ou remises en état.
Attention toutefois, pour les contrats à exécution successive, il n’y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation ayant reçu sa contrepartie.- Par exemple, en cas de contrat de livraison hebdomadaire, il n’y aura lieu à restitution que pour la période à partir de laquelle s’est produit le cas de force majeure, et non pour la période antérieure. Les semaines pendant lesquelles les livraisons ont effectivement eu lieu ne donnent pas droit à restitution.
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Il est à noter qu’en cas d’empêchement partiel, c’est-à-dire lorsqu’il n’existe qu’une impossibilité partielle d’exécution, le débiteur de l’obligation n’est libéré que des seules obligations concernées par le cas de force majeure et non de l’intégralité de ses obligations.
- Par exemple, un organisateur d’évènements ayant conclu des contrats et intervenant dans différents pays pourra ainsi se prévaloir de la force majeure pour son activité dans un pays soudainement touché par une guerre, mais ne pourra pas invoquer ce cas d’exonération pour des évènements organisés dans des pays en paix. Ainsi, les obligations de l’organisateur d’évènements ne seraient pas suspendues pour ces derniers pays, peu important qu’elles fassent partie intégrante d’un contrat plus global.
4. Nos conseils en pratique
Si vous êtes confronté à un tel cas de force majeure et que vous êtes dans l’impossibilité d’exécuter vos obligations contractuelles en raison de l’épidémie de COVID-19, voici nos conseils.
Tout d’abord, il convient de vérifier si votre contrat contient une clause de force majeure. Si tel est le cas, que cette clause étende ou restreigne la définition légale de la force majeure, il faudra identifier si une épidémie constitue un évènement de force majeure au sens de la clause. Si la clause exclut les épidémies des cas de force majeure, alors vous ne pourrez pas invoquer le coronavirus pour suspendre vos obligations ou mettre un terme au contrat.
Il conviendra ensuite de vous rapprocher de votre co-contractant afin d’envisager des solutions alternatives et de permettre autant que possible la continuation du contrat.
Si cela est impossible, il conviendra de notifier à votre co-contractant votre intention de vous prévaloir du cas de force majeure pour suspendre vos obligations ou mettre un terme au contrat, en respectant le principe de bonne foi. Il pourra par exemple s’agir de l’envoi d’un courrier recommandé, dans lequel vous exposerez votre impossibilité de vous exécuter et les motifs de votre décision. Attention toutefois, si votre contrat contient une clause de force majeure, celle-ci peut stipuler la forme et/ou les délais d’une telle obligation d’information ; il faudra donc les respecter.
Pour plus d’informations, n’hésitez pas à nous contacter.
Article rédigé par Me Jeannie Mongouachon, Avocat associé, et Mme Mathilde Augustin, Elève-avocate.